Le côté technique exigeait qu'on débarque rapidement les semi-remorques d'un côté, pour en embarquer de l'autre côté. Cette solution exigeait de repenser le terminal (photo ci-contre).
La translation des UTI en mode latéral n'avait jusqu'ici été que peut étudier, si ce n'est avec le système autrichien Mobiler mais qui ne convenait que pour les caisses mobiles. Or on se heurtait au problème de la poche des wagons, laquelle est forcément fixe. Mais pas chez CargoBeamer, qui trouva une technique de bac qui se translate d'un côté ou l'autre du wagon.
L'option retenue a été la création d'un wagon particulièrement sophistiqué dont les deux longs pans se rabattent au sol et permettent ainsi de libérer un bac contenant la semi-remorque. La photo ci-dessous montre précisément l'abaissement du long pan, qui va libérer le bac contenant la semi-remorque (appelé CargoModule). Cela montre la sophistication du wagon, une des critiques émises à l'encontre de ce système très technologique.
Une fois les longs pans abaissés, la translation du CargoModule s'effectue par deux béquilles encastrées dans le sol du terminal et qui viennent prendre le bac par le dessous, pour le translater en dehors du wagon (en rouge sur la photo ci-dessous).
Une fois le CargoModule hors du wagon, il n'y a qu'à retirer la semi-remorque et en recharger une nouvelle.
Comment se déroulent les opérations au terminal ?
Le terminal est particulièrement sophistiqué pour sa version technologique. Rappelons que CargoBeamer permet d'exploiter ses trains :
• soit sur un terminal dédié pratiquant sa technologie de chargement transversale ;
• soit sur n'importe quel terminal grâce aux CargoModules pouvant être préhensibles par pinces, comme nous le verrons plus bas.
CargoBeamer a voulu automatiser au maximum. L'entrée se fait digitalement grâce à un code envoyé au chauffeur. Celui place sa remorque sur un parking et en reprend une autre, ou repart à vide. L'ensemble prend environ 10-15 minutes.
Un tracteur de chantier vient ensuite prendre la remorque déposée et la place sur un des CargoModule disponibles, en sécurisant le placement. Le CargoModule peut alors déjà translater sur son wagon, pendant que le tracteur effectue la même opération pour d'autres semi-remorques.
Une fois tous les CargoModules chargés et translatés, les longs pans des wagons se replient et le train est près au départ, comme le montre la vidéo ci-dessous :
Mais quel avantage de ce système ?
Selon CargoBeamer, un train complet de 500m se décharge et se recharge en une fois. En effet, les longs pans se replient d'un seul coup pour tout le train. De même, les CargoModules sortent tous en même temps, tandis que d'autres CargoModules s'installent dans les wagons, tous en même temps. Les longs pans se replient également en même temps et le train est prêt. L'ensemble de ces opérations prendraient une vingtaine de minutes, grosso modo un chiffre qu'évoque le concurrent Lohr. Il y a cependant une sérieuse bataille de communication à ce sujet...
Cette rapidité, en comptant les procédures d'acheminement et de départ du train, permettrait en toute théorie d'accueillir un train par heure, soit 24 par jour, ce qu'aucun terminal traditionnel en manutention verticale n'est capable de faire. Le concept CargoBeamer n'est donc pas axé sur le transport accompagné comme la RoLa germanique ou l'AFA de Lohr.
Avec l'ajout de davantage de CargoModules qu'il n'y a wagons en circulation, le terminal CargoBeamer peut déjà préparer à l'avance ses trains de sorte que les semi-remorques soient prêtes à l'embarquement à l'arrivée d'un train.
Ni les wagons spéciaux ni les terminaux à déchargement transversal automatisé ne seraient viables sans les fameux plateaux amovibles. Ces plateaux diffèrent fondamentalement des systèmes français Lohr et suédois Megaswing. Dans ces deux derniers exemples, le plateau pivote mais reste attaché à son wagon. Tel n'est pas le cas de CargoBeamer, où le plateau est entièrement sorti de son wagon et est donc interchangeable d'un wagon à l'autre, d'un train à un autre, d'un terminal à l'autre.
Comme pour le système NiKRASA auquel il lui ressemble un peu, cette faculté "d'électron libre" supposera à l'avenir une gestion et une numérotation séparée, pour savoir où sont les plateaux en service et combien il y en a de réserve dans les terminaux. On peut ainsi avoir plus de plateaux qu'il n'y a de wagons, et préparer les chargements à l'avance. Mais en 2023, ce problème de gestion de parc de plateaux n'était pas encore à l'ordre du jour...
CargoBeamer a eu l'immense idée de ne pas s'enfermer dans sa propre technologie et a conçu un Cargo Module certes spécifique, mais qui peut être transbordé par grue dans les terminaux dépourvus du système transversal.
Ce Cargo Module se présente donc - à l'inverse de NiKRASA -, comme un bac robuste et plus lourd, mais qui renforce la rigidité du wagon. Il dispose des 4 flancs d'accroche normalisés pour la prise par pinces traditionnelles. C'est donc un support important dans le concept CargoBeamer puisqu'il est adaptable à tout terminal, sophistiqué ou non.
Le chargement d'une semi-remorque peut théoriquement s'effectué directement par le routier lui-même, comme le montre la photo ci-contre à gauche. Mais dans la pratique, le routier ne fait que déposer sa remorque sur un parking dédié et peut immédiatement repartir, à vide ou avec une autre remorque. CargoBeamer utilise ensuite son propre tracteur de terminal pour placer les remorques sur les Cargo Modules, assurant la sécurité du chargement et gérant les opérations à sa guise.
Trouver le terrain pour implanter un terminal trechnologique ne s'est pas fait sans mal. Et curieusement, ce n'est pas en Allemagne mais à Calais, en France, que CargoBeamer aura sa première occasion d'installer son terminal propre.
Mais il a d'abord fallu faire des tests grandeur nature. Comme indiqué plus haut, le concept comprend également des terminaux innovants entièrement automatisés. Ils devraient pouvoir décharger et charger un train entier en 20 minutes sans grue. Jusque-là, en dehors du terminal de démonstration de Leipzig, il n'y a eu qu'un seul test pilote réussi en 2013 avec un terminal compact dans les emprises de Volkswagen AG à Wolfsburg, en mettant en place un terminal à trois modules. CargoBeamer avait investi près de 2,5 millions d'euros dans ce premier projet.
Kaldenkirchen-Domodossola
À la suite de ces premiers essais, d'autres ont été réalisés sur la liaison Kaldenkirchen - Domodossola, mais cette fois avec les véritables wagons qui n'étaient pas encore homologués. Cette liaison passait par le Lötschberg sur le réseau du BLS en Suisse et n'allait pas plus loin que la gare frontière de Domodossola. Il n'était pas prévu semble-t-il d'homologuer ces wagons très spéciaux plus en avant en Italie.
Tant Kaldenkirchen que Domodossola se présentent comme des terminaux traditionnels. Comme le montre la photo ci-contre, les bacs CargoBeamer sont placés par grue portique ou reach stacker sur les wagons.
Entre 2015 et 2020, plus de 64;000 semi-remorques avaient été transportées sur cette liaison. En 2021, CargoBeamer signait le rachat d'un terrain du groupe FS jouxtant le triage de Domodossola mais sans y installer son système de déchargement horizontal. On restait donc dans de la manutention traditionnelle par pinces.
Calais, premier terminal technologique de CargoBeamer
Calais est le premier terminal conçu entièrement avec la technologie CargoBeamer, c'est à dire avec le système automatique de translation au sol des cargo modules, ce qu'on appelle les gates.
Le site de Calais ne doit rien au hasard : il est situé à côté du tunnel sous la Manche et, bingo, il y avait à l'époque un tas de subventions à la clé pour monter quelque chose de concret.
L'État français ainsi que la Région Nord-Pas-de-Calais (aujourd'hui Hauts de France), on mis la main au portefeuille dans le but de promotionner la zone de Calais, porte ouvrant sur la Grande-Bretagne. Avec l'aide de Calais-Promotion, c'est une parcelle de 5,7 ha qui fut choisie sur la zone Transmarck – Turquerie. Le terrain a été acquis en juin 2018 et les permis de construire ont été accordés en avril 2019.
Le coût estimé était d'environ 33 millions €. Le projet bénéficia de plusieurs types d'aide. En septembre 2019, l'Union européenne accordait une subvention de 7 M€ via son programme Mécanisme pour l'Interconnexion en Europe (MIE). En décembre 2020, la Banque européenne d’investissement et CargoBeamer AG concluait un accord de financement de type apport de fonds propres d’un montant de 12,6 millions € qui prennait la forme d’un prêt garanti de premier rang associé à un mécanisme de partage des bénéfices.
Les travaux, d’une durée d'un an, ont commencé en juillet 2020 par le groupement mené par Eiffage Génie Civil auquel s'est associé Franki, SATN et Actenium. Quelques chiffres : 550 pieux en béton armé, 3.100 colonnes d'inclusion rigides et 504 éléments en béton préfabriqués d'un poids unitaire variant de 1 à 22 tonnes pour le seul radier et les fondations. Voies ferrées : 650 m sur ballast, 570 m sur voie béton et 700 m sur platines. Mais aussi 1 Poste haute tension 400KVa, 30 km de câbles, un réseau de caméras périmétriques, 5 SAS d’entrée équipés de quick gate et système de caméras pour le checking des poids lourds.
Cet ensemble a été inauguré en septembre 2021 et constitue donc le tout premier véritable terminal CargoBeamer d'Europe.
Le service CargoBeamer aujoud'hui
En dépit de nombreuses annonces répandues autour des années 2018 à 2020, le site web de réservation de CargoBeamer ne montrait en 2023 que 3 liaisons réservables en ligne, illustrées sur la carte ci-dessous :
En 2023, le réseau de CargBeamer se composait donc de cinq terminaux :
Deux terminaux propriétaires : Calais et Domodossola (suite à l'achat d'un terrain anciennement FS Group)
Trois terminaux associés : Kaldenkirchen (Cabooter Terminal), Neuss et Perpignan (Le Boulou)
Au-delà du terminal
L'ensemble de ces trois liaisons opèrent avec des wagons CargoBeamer. CargoBeamer cherche aussi des associations avec d'autres formules. Ainsi, le service de transport sur Kaldenkirchen-Domodossola a été étendu sur le site de réservation avec un trajet routier de dernier kilomètre, notamment jusqu'au port de Gênes. Particularité : les réservations pour ce nouveau service sont effectuées via le système intégré "eLogistics" de CargoBeamer et non plus séparément. Lors de la commande d'un transport de premier ou de dernier kilomètre, les clients peuvent choisir entre un modèle unique ou rotatif. Toutes les émissions causées par le transport routier du premier au dernier kilomètre sont couvertes par le programme de neutralité carbone de CargoBeamer et donc compensées par l'utilisation de certificats ad-hoc.
Les défis du Brexit
CargoBeamer s'associe aussi à l'idée de Getlink (ex-Eurotunnel), qui devait se conformer la réalité concrète du Brexit. Le retrait de la Grande-Bretagne de l'Union européenne a causé des soucis concernant le droit du travail des chauffeurs routiers. Mais aussi des attentes bien plus grandes aux terminaux de Calais-Eurotunnel et Folkestone pour cause de douane nouvellement réinstallée.
Pour pallier à ces problèmes, Getlink et CargoBeamer ont mis en place un circuit plutôt atypique pour rejoindre la Grande-Bretagne :
• acheminement par route et chauffeurs français des semi-remorques entre le terminal de la Turquerie et celui d'Eurotunnel à Calais (15 km) ;
• chargement des semi-remorques par Eurotunnel à bord d'une de ses navettes ;
• déchargement des semi-remorques par Eurotunnel à l'arrivée à Folkestone ;
• acheminenment par route et chauffeurs britanniques des semi-remorques entre le terminal de Folkestone et l'Ashford International Truck Stop (21km), un gigantesque parking instauré pour soulager Douvres.
Cette combinaison permet ainsi à CargoBeamer d'offrir en seul click l'ensemble du trajet Perpignan-Ashford.
Jusqu'ici il n'y a pas de projet de nouveau terminal dans le genre de Calais ailleurs en Europe, mais l'actualité est comme on le sait changeante.