Pourquoi l'Europe se mêle du transport ?
Le traité de Maastricht acte la mise en place des « Réseaux Transeuropéens de Transports, Energies et Communication » définis par l’Union européenne, lequel est sensé stimuler l’emploi et la croissance économique. Or, selon la Commission Européenne, cette stimulation passe par des transports libérés des contraintes nationales instaurées depuis la fin de la seconde guerre mondiale. On y trouve notamment :
- la fin du contingentement des transports routiers de fret (camions), puis plus tard de voyageurs (autocars);
- la progression du tonnage brut des poids-lourds, jusqu'à 44 T, rehaussant la productivité du secteur routier;
- les possibilités progressive du cabotage routier national, pour camions et autocars de toute entreprise européenne;
- l'ouverture progressive du ciel européen à toutes les compagnies aériennes, accentuant la pression sur les prix;
Mais surtout :
- la possibilité, avec un marché ouvert, à toute entreprise nationale d'étendre son marché au-delà de ses frontières, ce qui impliquait de mettre fin à toute une série de barrières administratives et techniques. Une faculté qui a déjà donné des résultats positifs. Ainsi, la SNCF effectuait en 2015 près de 30% de son chiffre d'affaire grâce uniquement à ses activités en dehors du territoire de la France (bus, cars, trains en Europe).
Pourquoi l'Europe se mêle du chemin de fer national ?
La mise en place d’un espace ferroviaire unique européen est un symbole fort de la construction européenne dont l’ambition première est d'être la pierre angulaire d'un transport unifié et durable. Plusieurs arguments sont apparus pour justifier la revitalisation des chemins de fer en Europe :
Frédéric de Kemmeter
Train & signalisation - Obser-vateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités complexes de manière transversale
Points faibles du chemin de fer
Points forts du chemin de fer
- l'environnement socio-économique du chemin de fer s'est profondément modifié depuis la naissance du rail, et a provoqué un déclin irréversible de ce mode de transport;
- le chemin de fer n'est plus, depuis les années 1950, le transport dominant tant en voyageurs que marchandises;
- néanmoins, certaines dispositions sociales et certaines méthodes de travail datant parfois d'avant la seconde guerre mondiale ont été conservées;
- l'ensemble des mesures citée plus haut ont renforcé la concurrence entre modes de transports. Cela a provoqué une baisse sensible des parts de marché ferroviaire;
- les concurrents routiers et aériens ont démontré leurs grandes facultés d'innovation commerciale, de méthodes de travail et de process, leurs permettant de proposer soit des services de haut niveau, soit des services de base à bas coûts ou segmentés selon le type de clientèle;
- l'économie ferroviaire souffre de coûts fixes et de coûts d'exploitation élevés, du fait de méthodes de travail qui peinent à être modernisées;
- les monopoles sont estimés coûteux et pèsent encore de nos jours sur le PIB national. Or cela ne convenait pas au regard du Pacte de croissance et de stabilité. Ce pacte, adopté à Amsterdam en 2007, impose aux États de la zone euro d’avoir à terme des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires.
- l'Europe n'est pas convaincue par le modèle « à l'américaine » où seuls dominent l'automobile et l'avion;
- le modèle « tout automobile » fait l'objet d'un rejet de plus en plus accentué au sein de l'opinion publique européenne, tout particulièrement dans les villes du Continent dont certaines sont historiques, à l'inverse d'autres cités du monde (Chine, Inde, Etats-Unis, Amérique du Sud...);
- le chemin de fer est apparu comme susceptible d'un report modal des transports polluants (route, air) vers le rail, dans le but de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, permettant de diminuer le coût des soins de santé et l'accidentologie du transport routier ;
- le chemin de fer est lui-même un transport utilisant une énergie verte, ce qui renforce l'argument précédent, si on excepte la problématique de l'énergie nucléaire;
- le chemin de fer à grande vitesse a pu démontrer qu'il pouvait reporter une forte part de marché du ciel vers le rail, et renforcer sa compétitivité intermodale;
- le chemin de fer de proximité démontre chaque jour sa pertinence dans les villes où le trafic domicile-travail est important;
- enfin, il est apparu que le secteur ferroviaire n'avait aucune raison d'être mis à l'écart des nouvelles technologies, des nouvelles méthodes de travail et des évolutions socio-économiques de manière générale.
L'Europe a mis en place une action législative de grande ampleur. Les principales actions peuvent être résumées comme suit :
- quatre paquets législatifs depuis 1991 ouvrant le chemin de fer à de nouveaux entrants et promouvant l'appel d'offre européen pour les toutes délégations de service public >> en savoir plus
- un point particulier concerne la séparation - au minimum comptable - entre l'infrastructure et les exploitants, afin de faciliter l'arrivée de nouveau entrants et d'éviter toute forme de discrimination >> en savoir plus
- rédaction d'un ensemble de Spécifications Techniques d'Interopérabilité (STI) qui sont obligatoires sur tout le matériel roulant construit par l'industrie, ainsi que sur les lignes nouvelles ferroviaires >> en savoir plus
- mise en place d'une Agence Ferroviaire Européenne pour gérer les documents techniques des STI et les versions des logiciels du contrôle/commande des circulations ERTMS / ETCS >> en savoir plus
- mise en place d'un ensemble de corridors de fret ferroviaire gérés chacun par un bureau unique au niveau des sillons horaires et de l'administration, suite à la mise en place des « Réseaux Transeuropéens de Transports, Energies et Communication » définis par l’Union européenne (UE). >> en savoir plus
Au niveau social :
- la base cheminote est d'essence ouvrière, ce qui accentue la méfiance envers le progrès technique ou social, perçus essentiellement comme source de pertes d'emploi et d'acquis sociaux;
- les transports concurrents développent de nouvelles méthodes de travail dont des cheminots craignent que cela fasse tâche d'huile, renforçant la méfiance évoquée précédemment.
Au niveau politique :
- certains groupes politiques considèrent le chemin de fer davantage comme une aide sociale plutôt qu'un transport, et rejettent donc les arguments économiques;
- certains groupes politiques veulent appliquer les dispositions sociales des cheminots à l'ensemble des secteurs du transport, à la fois pour des motifs sociaux, mais aussi pour rendre le transport plus cher.
Au niveau culturel :
- les points faibles et les points forts évoqués plus haut ne rencontrent pas de consensus, ni à travers les différents groupes politiques, ni au travers des cultures nationales;
- il persiste chez les cheminots une crainte assumée de ressembler « aux autres », du fait des particularismes sociaux dont jouissait depuis toujours le secteur ferroviaire.
- de nombreux défenseurs du service public défendent le chemin de fer sous un angle strictement national car il reflète une culture propre souvent basée sur un imaginaire qui porte le poids de l'histoire.
Au niveau politique :
- beaucoup de gouvernements hésitent à rénover l'environnement social des cheminots par crainte d'entâcher la paix sociale (dépendant des cultures nationales)
- il y a une tendance des politiciens nationaux à rendre la Commission européenne responsable de leurs propres difficultés budgétaires ou ferroviaires;
- il n'y a pas de consensus sur une vision syndicale commune, du fait de la grande disparité des cultures en Europe;
- il n'y a pas de consensus sur une vision politique commune quant à la gouvernance ferroviaire, du fait des fortes disparités concernant le poids de la loi nationale sur la tutelle ferroviaire;
- il y a des disparités majeures concernant les cultures politiques nationales, entre l'étatisme pur et la décentralisation régionale qui diffère grandement d'un Etat à l'autre, ce qui a une incidence profonde sur la délégation de service public.
Au niveau académique :
- il n'y a pas de consensus académique sur les avantages et inconvénients de la libéralisation du rail, du fait de la diversité des cultures et de l'appartenance idéologique des académiciens;
Au niveau technique :
- L'application depuis toujours de normes technologiques nationales au travers de tous les sous-secteurs ferroviaires a rendu le chemin de fer non-interopérable, en dehors du passage des wagons, notamment au travers de la signalisation et de la détection des trains, une difficulté que l'ERTMS/ETCS est sensé atténuer.