La nouvelle gouvernance du rail
Plus d’un quart de siècle après la promulgation de la toute première directive 91/440, il était intéressant de faire une pause et d’observer les degrés d’interprétation de la législation européenne. On constate en effet que l’option initiale de la Commission européenne en matière de séparation entre infrastructure et transporteur a donné lieu à des interprétations très diverses. Cela est dû bien évidemment à la culture politique et sociale de chaque Etat membre, vu les enjeux politiques qu’il y a là derrière.
La culture politique et sociale joue toujours un rôle prépondérant dans les choix d'organisation. Quatre familles institutionnelles peuvent être dégagées, en dépit de la difficulté d'analyse et des particularismes. A noter que cette gouvernance nationale n'indique pas pour autant le degré supposé de concurrence ou d'ouverture à la concurrence. On constate ainsi que si la France et l'Allemagne partagent la même famille (en brun), le degré d'ouverture à la concurrence y est radicalement différent. Les pays sont présentés par ordre alphabétique en colorisant les différentes familles :
L'infra intégrée au sein de l'entreprise historique - 6 Etats
C'est la formule la plus ancienne : l'infrastructure n'est qu'un simple département ou, au mieux, une business unit au sein de l'opérateur historique. Mais attention à l'interprétation : c'est la loi qui détermine les conditions à l'ouverture du réseau aux nouveaux entrants. La Suisse montre le meilleur exemple: la loi oblige les CFF à ouvrir à la concurrence la traction des trains de fret, mais uniquement sur le transit Nord-Sud, selon un accord avec l'UE.
L'infra intégrée en tant que filiale - 7 Etats
C'est une formule plus évoluée que le département. Budget et ressources dédicacés au sein d'une holding, le modèle de filiale est défendu par l'Allemagne et l'Autriche, et fût le modèle belge de 2005 à 2014. Encore une fois, c'est la loi qui détermine les conditions à l'ouverture du réseau aux nouveaux entrants. En Italie, le degré d'ouverture du réseau fût longtemps entravé par l'opérateur historique. C'est toujours le cas en France, où l'ancien RFF de 1997 a été liquidé en 2015 pour une réintégration au sein d'un 'Groupe SNCF', sous le nom de SNCF Réseau. Pour autant, les français n'aiment pas le terme 'filiale' et préfèrent parler de 'groupe SNCF intégré'. La formule juridique de la filiale varie donc fortement d'un pays à l'autre. Le personnel est de facto statutaire dans certains pays (France), et pas dans d'autres (Allemagne).
L'infra séparée en tant qu'administration publique - 5 Etats
L'administration est un ensemble intégré au sein de l'Etat mais sans grands moyens d'autonomie. Le personnel y est de facto fonctionnaire d'Etat. C'est une formule qui peut marquer une séparation marquée avec le transporteur historique, mais pas en totalité dans le sens où certaines tâches d'entretien peuvent être confiées à l'opérateur ferroviaire dominant. On constate dans le tableau que c'est la formule choisie par tous les pays scandinaves.
L'infra séparée en tant qu'entreprise publique - 8 Etats
C'est la formule la plus évoluée en droite ligne avec les prescriptions communautaires. Par rapport à l'administration, l'entreprise publique bénéficie du dégré d'autonomie pour gérer et quantifier ses moyens et ses ressources, en conformité avec un cahier de charge ou contrat de gestion établit par la tutelle étatique. C'est le cas de la Belgique, de l'Espagne ou des Pays-Bas, où ces sociétés disposent de moyens et de bugets propres. L'Etat est ici un actionnaire majoritaire - voire unique - et quantifie l'étendue du réseau tandis que le personnel peut être engagé sans avoir nécessairement le statut cheminot national.
Le cas britannique - 1 Etat
Qualifié d'excessif par beaucoup, le cas britannique se révèle être un laboratoire des bonnes et mauvaises pratiques de la libéralisation du chemin de fer. Nommée Railtrack en 1996, cette société privée revînt dans le giron de l'Etat sous forme d'une agence gouvernementale. Ainsi nacquit Network Rail en 2002 sous la tutelle du Department of Transport (DfT). Network Rail a été reclassé en tant qu'organe du gouvernement central dans les comptes nationaux du Royaume-Uni en septembre 2014. Cette société dispose ainsi de la liberté commerciale et opérationnelle pour gérer l'infrastructure ferroviaire en Grande-Bretagne au travers des cadres réglementaires et de contrôle. Network Rail gère les gares et certains actifs immobiliers.