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Frédéric de Kemmeter
Train & signalisation - Obser-vateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités complexes de manière transversale
Une rame type de Regiojet, avec ici comme traction une Vectron louée chez EIL (photo Regiojet)
RegioJet est l'opérateur de transport ferroviaire de passagers en République tchèque, dont le siège social est à Brno. RegioJet est une filiale à 100% de Student Agency, une agence créée en 1993 par Radim Jančura, en tant qu'étudiant entrepreneur de la VUT de Brno. La petite firme s'est rapidement imposée comme le premier opérateur de bus longue distance en République tchèque, principalement en utilisant une flotte moderne d'autocars de luxe et en mettant l'accent sur les normes de service en Europe occidentale. Elle a réussi à construire son succès en offrant confort, commodité et service souriant dans une branche d'activité des pays de l'Est pas habituée à cela....
Le fondateur va profiter de la mise en place de la directive européenne 2007/58/CE qui entérine l'open access en autorisant la possibilité du cabotage, c'est-à-dire la possibilité de prendre ou des déposer des voyageurs dans un même pays. Cette législation donne davantage de garanties juridiques que n'avaient pas les quelques candidats qui essayèrent de se lancer, comme le défunt Arenaway en Italie. La directive, implémentée dans la législation tchèque, ne protège désormais plus l'entreprise nationale České dráhy (CD). Dans un autre registre, la législation tchèque permet aux transporteurs commerciaux de recevoir des subventions de l'État en contrepartie d'un engagement tarifaire pour les étudiants et certaines autres catégories, y compris sur les lignes de bus. Comme le fond de commerce de Student Agency est justement le public étudiant, Radim Jančura est convaincu qu'il peut faire le même business avec des trains.
Student Agency, qui dispose d'une bonne expérience en réseau et marketing de bus, obtient dès 2009 une licence d'exploitation de transport ferroviaire en République tchèque et peut donc s'organiser en conséquence. Le 6 octobre 2009, RegioJet est enregistré dans l'activité «_exploitation et transport ferroviaire ».
Caractéristiques
Opérateur :
Filiale / Division :
Branche :
Segment commercial :
Transport international :
Premiers services :
Type de train :
Constructeur(s) :
Traction :
Siteweb officiel :
Réseaux sociaux :
Entreprises similaires :
Regiojet
Filiale 100% de Student Agency
Transport voyageurs
Grande ligne
Oui
septembre 2011
Rames tractées
Autorails variés
Matériel d'occasion + matériel neuf ASTRA
Variée
https://www.regiojet.cz/
Facebook
Flixtrain, Transdev Suède
Les envies de train du patron datèrent en réalité de plus tôt. En 2006 déjà, Radim Jančura avait exprimé dans plusieurs medias son intention de voir Student Agency devenir également un transporteur ferroviaire dans un délai d'environ trois ans. À cette époque, des changements fondamentaux étaient entrepris dans la législation tchèque car le pays adhérait dès 2004 à l'Union Européenne, ce qui supposait l'adhésion à la politique ferroviaire de l'Union. Parmi les changements, une sous-traitance progressive conformément aux principes du Livre blanc de l'UE, c'est-à-dire en particulier dans les appels d'offres publics ouverts (DSP), qui intéressera aussi Regiojet. Un document officiel rapporte néanmoins que l'avantage d'un marché ouvert est la motivation des transporteurs à fournir une qualité de service supérieure. C'est conception de l'open access devait motiver Radim Jančura.
En 2007, Jančura annonçait un appel d'offre pour « des trains moins chers et plus luxueux que les Pendolinos exploités par l'entreprise publique České dráhy. » Stadler et Siemens auraient participé à l'appel d'offre, ce dernier déclinant une version de l'ICE 3 mais dont on ne verra jamais la moindre esquisse. En 2008, le versant régional prévu en appel d'offre offre à Jančura l'opportunité de négocier une join-venture avec le français Keolis. En 2009 et 2010, il y eut diverses péripéties concernant des offres, puis des retraits d'offre, au sujet des trafics régionaux dans les environs de Liberec, de Plzeň et sur d'autres lignes régionales. Les associations avec d'autres opérateurs ne perdurèrent jamais.
En septembre 2011, Radim Jančura confirmait son intérêt pour l'exploitation d'autres liaisons express. Il avait même proposé au ministère des Transports de remplacer, à partir de décembre 2012, jusqu'à la moitié des trains longue distance EuroCity (EC) et InterCity (IC) sur la ligne Prague - Brno - Břeclav, qui sont exploités par les chemins de fer tchèques. Fin de non-recevoir. Mais cela n'empêchera pas Regiojet de préparer son offensive sur le segment grande ligne.
Septembre 2011 : les débuts du trafic grande ligne
Un concept low-cost
À l'inverse de son autre concurrent, Leo Express, ainsi que de WESTBahn ou de NTV-Italo ailleurs en Europe, RegioJet n'opte pas pour du matériel neuf mais pour du matériel de seconde main. Cela tombe bien. Depuis 2008, les voisins autrichiens ont lancé leurs Railjet, signifiant la mise à l'écart d'un grand nombre d'excellentes voitures UIC "Z", qui composaient les ex-Intercity/Eurocity des ÖBB. Certaines voitures furent mises en vente, et Radim Jančura en racheta. Dans le même temps, il racheta 12 voitures Am61 première classe aux CFF. En Italie, le Ferrovie Nord Milano voulait se débarrasser de ses machines 3kV E 630 qui sont... d'origine tchèque. Radim Jančura les racheta également et les remit au type de retour au pays, analogue aux séries 162 des CD. La flotte compte déjà une quarantaine de voitures, dont certaines subissent un profond remaniement dans un atelier spécialisé.
Mais les projets prirent un peu de retard, justifié par Aleš Ondrůj, porte-parole de Student Agency : « Nous résolvons l'accord de dégagement mutuel avec ČD depuis près d'un an, nous pensons qu'ils sont accommodants, mais personne n'a résolu de telles choses avant nous. C'est pourquoi cela prend plus de temps. »
Paré de 9 locomotives et 28 voitures en ordre de marche, RegioJet pouvait débuté son premier service le 26 septembre 2011 sur la liaison Prague - Ostrava (- Žilina). Dans les trains jaunes, les clients peuvent profiter des mêmes services et équipements que les bus jaunes de Student Agency. Avec ce service en libre accès, RegioJet fait concurrence non seulement aux chemins de fer de CD, qui exploitent également leur propre Intercity, mais aussi à un troisième concurrent venu entre-temps s'installer, Leo-Express. Au total, entreprise publique comprise, la grande artère Prague-Ostrava est exploitée par trois opérateurs : 5 trains LEO-Express, 11 trains Regiojet et 10 trains Ceske Drahy, soit 26 paires de trains par jour ouvrable, ce qui est considérable pour un petit pays comme le Tchèque République.
Une rame en gare de Prague-Hvlani, avec en tête une 162 ex-Ceske-Drahy, ex-FNM Italie. Vous suivez ?... (avril 2018, photo Mediarail.be)
Dans l'intervalle, fin avril 2012, la Deutsche Bahn et RegioJet envisagèrent de reprendre en 2013 en commun la desserte Prague-Dresde-Berlin-Hambourg. Mais en août 2012, ce projet était déjà enterré pour des raisons difficiles à déterminer. Bien plus tard, la DB renégocia avec les ČD pour un contrat de dix ans courant jusqu'en 2025.
Mars 2012 : premiers pas en trafic local en Slovaquie
Malgré les déconfitures évoquées plus haut, RegioJet ne perd pas espoir dans le trafic régional. Le gouvernement slovaque décidait lui-aussi de mettre fin au monopole de l'opérateur historique ZSSK. Il était prévu de mettre jusqu'à 35% des services conventionnés sous appel d'offre, moyennant une baisse des subventions. En mars 2012, Student Agency/RegioJet recevait un contrat de 9 ans pour l'exploitation de services voyageurs régionaux sur les 95km entre Bratislava, Dunajská Streda et Komárno.
Pas question ici de rames tractées ex-ÖBB mais d'auto-rails Talent VT 643. RegioJet en loua 9 exemplaires auprès d'Alpha Train, lesquels circulaient auparavant sur la ligne locale allemande Dortmund - Enschede. RegioJet obtenait pour ce service une subvention en baisse de 16% comparé à celle de ZSSK et devait augmenter les fréquences à un train par heure, et toutes les 30 min en pointe, tout en réduisant les temps de trajet de bout en bout de 69 à 43 min. Les services étaient intégrés dans le système de transport urbain de Bratislava et les rames devaient disposer d'une connexion Wi-Fi gratuite, des journaux et des rafraîchissements. Il était prévu un trafic jusqu'à 1,9 million de voyageurs/an.
Radim Jančura avec le gratin slovaque le 26 avril 2011 pour l'inauguration à Komárno (photo Bratislavská župa via flickr)
Une rame des rames diesel Talent Bombardier VT 643 utilisées par Regiojet (photo Bratislavská župa via flickr)
2013 : guerre des prix et guerre des classes
La première année d'arrivée de RegioJet sur le terrain des ČD ressemble fort à ce que NTV-Italo, au même moment, devait endurer avec Trenitalia. Á l'été 2013, RegioJet engageait un expert externe, Takoma ATM, pour réaliser un audit des services ferroviaires Prague - Ostrava. L'opérateur privé estimait que les CD avaient abusé de leur position d'opérateur monopolistique en vendant des produits à un prix inférieur au coût de revient, ce que la loi interdirait. L'audit a révélé que les prix des CD avaient chuté de 50% sur les 358km du trajet Prague-Ostrava, ce qui après tout est bien le but de la concurrence. Mais il s'agissait ici de prouver une stratégie d'éviction. Elle sera confirmée... en 2021, grâce à une autre enquête !
Réponse du berger à la bergère ? Un différend survenait "opportunément" concernant les subventions pour les billets étudiants, des subventions légales dans le cadre d'une aide aux étudiants, quel que soit le transporteur. Regiojet propose quatre classes de confort . Le ministère des Transports avait alors enquêté sur l'entreprise privée, notant que, bien que notifiées comme « deuxième classe », les voitures offrant les classes Business et Relax pouvaient être considérées comme de première classe déguisées en République tchèque. Selon le ministère, dans ce cas, la subvention « étudiant » ne s'appliquait pas chez Regiojet...
Le ministère des Transports faisait à priori référence à ces voitures : sièges en 2+1, l'UIC catalogue cette configuration comme état de la première classe. Du coup il ne pouvait être question, selon la Tchéquie, de subventionner des billets étudiants (photo Mropiro via wikipedia)
Accusé d'avoir reçu plus de subventions que nécessaire de l'Etat en 2014, Radim Jančura répondit que « la compensation de l'Etat pour les groupes sociaux ne représente que 8% de ma gamme tarifaire. Les chemins de fer tchèques de l'ensemble du réseau reçoivent une compensation totale de 255% des recettes tarifaires, même pour les services longue distance que nous exploitons sans subventions d'exploitation. Certes, le montant payé par l'État pour la compensation des tarifs réduits n'est pas minime, mais il est trente fois inférieur à ce qu'il verse au transporteur public. » Dans tous les cas, le billet le plus cher de Regiojet est bien en deçà des tarifs de première classe des CD, l'entreprise publique.
Ces bisbrouilles entre les deux parties n'ont pas empêché Regiojet de faire état, en 2013, de 1,6 million de voyageurs transportés, soit une augmentation de 42,5% par rapport à l'année précédente, première année pleine de référence. Les pertes s'établissaient à 2,9 millions d'euros sur un chiffre d'affaire de 10,2 millions d'euros. Rapidement, les trains passèrent de 240 à 400 places offertes. Cette augmentation supposait dès lors un renforcement de la flotte des voitures, que Regiojet achète d'occasion, de préférence auprès des pays "alpins" et de l'Allemagne. En 2014, près de 45 voitures supplémentaires venaient garnir la flotte existante, portant le parc à 95 véhicules voyageurs. Ces voitures devaient permettre de renforcer les trains sur l'itinéraire Prague - Ostrava - Žilina.
Un peu plus de libéralisation en République tchèque et en Slovaquie ?
En 2013, le gouvernement de Jiří Rusnok soutenait le projet du ministère des Transports de passer en appels d'offres dès 2016 l'exploitation de services voyageurs grande ligne subventionnés, sur cinq liaisons :
• Praha - Ústí nad Labem - Cheb
• Praha - Ústí nad Labem - Decín
• Plzen - La plupart
• Liberec - Pardubice
• Liberec - Ústí nad Labem
Ces itinéraires étaient complétés par la liaison Ostrava - Opava - Krnov - Olomouc, laquelle fit justement l'objet d'un projet pilote qui échu à Regiojet. Ce contrat de 80 millions d'euros (2,1 milliards de couronnes) prévoyait d'exploiter dès 2014 cette liaison sur une période de 15 ans. Mais cet accord fut rendu caduque par la chute du gouvernement Rusnok. Regiojet se consacra alors totalement aux services grandes lignes.
En 2014, munie d'une flotte agrandie, Regiojet dévoila son intention d'opérer des services en open access en Slovaquie, entre Bratislava et la ville orientale de Košice, aux pieds des Tatras. Dans le même temps, étaient testées les fameuses voitures Astra, qui disposent d'écran dans chaque dos de sièges. L'internationalisation de Regiojet se poursuivait avec l'intention de créer un aller-retour Prague-Košice.
Côté traction, les limites des locomotives 162 se faisaient sentir. Á un moment, il était question d'utiliser des loco-motives ex-série 12 SNCB qui sont aptes tant sous 3kV DC que sous 25kV AC, pour l'exploitation slovaque. Regiojet signa cependant un contrat de 5 ans pour louer chez European Locomotive Leasing (ELL) trois locomotives Siemens Vectron également aptes sous ces tensions, de même que sous le 15kV allemand et autrichien. Ces machines vont donner un coup décisif à l'expansion des services internationaux de Regiojet. Au départ en livrée du propriétaire, les Vectron vont progressivement revêtir la livrée jaune de l'opérateur-locataire.
La 193 222 sur le RJ 1002 de passage à Praha - Smichov Nadrazi (photo Trainspotter LGs via flickr)
La 193.227 du côté de Zábřeh na Moravě, en 2016 (photo Miroslav Volek via flickr)
Tentatives avortées en Slovaquie
Si 2014 s'est cloturée avec une hausse de 37% du nombre de voyageurs, les affaires en Slovaquie ne furent pas florissantes. Les trains interurbains sur la ligne Bratislava – Košice avaient été versés dans les "relations commercialement viables" dès janvier 2012. En décembre 2014, Regiojet commença à y exploiter trois allers-retours Bratislava - Žilina - Košice, aux pieds des Tatras. Radim Jančura restait convaincu de pouvoir être rentable, car ses coûts d'exploitation étaient de 30 à 40 % inférieurs à ceux de l'opérateur historique slovaque, les ZSSK.
Mais en novembre 2015, l'opérateur annonçait déjà la fin de ses opérations suite à une perte de 4 millions € due, selon Radim Jančura, à la politique du gouvernement d'offrir des voyages gratuits à une grande partie de la population. Les ZSSK faisaient mine également de se retirer mais les spéculations allaient bon train sur la volonté "réelle" du gouvernement slovaque de poursuivre le mouvement de libéralisation. Une analyse qui sera confirmée dans les années qui suivent, Jančura déclarant que « les appels d'offre étaient soumis aux mêmes fonctionnaires quels que soient les gouvernements en place. »
RegioJet ne quittait pas la Slovaquie pour autant. Les services voyageurs régionaux sur les 95km entre Bratislava, Dunajská Streda et Komárno, quant à eux, se poursuivaient normalement puisque sous contrat de service public. De même, les deux liaisons Prague - Košice, dont une de nuit, étaient également maintenues. Dans l'intervalle, RegioJet opèrait en Tchéquie dès décembre 2015 la liaison Prague - Olomouc - Přerov, avec une liaison de bus vers Zlín et Otrokovice.
Train et bus ne font qu'un
Au printemps 2016, la marque de marketing RegioJet a été intégrée au sein de la flotte des bus. Cette étape a permis d'unifier les bus et les trains et de développer la société en République tchèque et en Slovaquie, mais aussi à l'étranger. Le réseau de transport RegioJet pourrait transporter entre 15 et 20 millions de passagers dans les années à venir.
En décembre 2016, RegioJet revenait en Slovaquie en assurant deux allers-retours par jour sur Prague-Bratislava, avec un temps de trajet de 3h 57min pour le trajet de 396 km. Les trains jaunes faisaient escale à Pardubice, Ústí nad Orlici, Česká Třebova, la gare principale de Brno, Břeclav, Kúty et la gare principale de Bratislava, pour un tarif d'entrée de 14 €. Prague – Bratislava devenait la deuxième route transfrontalière de Regiojet entre les deux pays après Prague – Košice, qui restait desservie par deux services aller-retour par jour, dont un de nuit.
Dans l'intervalle, RegioJet recherchait jusqu'à 60 automotrices électriques et 30 autorails diesel ainsi que 50 voitures adaptées à une circulation à 200 km/h dans le cadre des trois contrats-cadres de matériel roulant de quatre ans. La valeur totale potentielle était estimée à 590 millions €, bien que les commandes fermes dépendaient de l'obtention de contrats de service public par RegioJet. Il s'agissait en effet de répondre aux appels d'offre régionaux en Tchéquie, qui sont des contrats de service public.
Plaintes et lobbying
2016 et 2017 furent assez riches aussi sur le plan légal. Une plainte avait atterrit à la Commission européenne à Bruxelles, portant sur des soupçons d'adoption, par les Ceske Drahy, de tarifs qui ne couvraient pas ses coûts de 2011 à 2019 sur une liaison entre Prague et Ostrava afin d'entraver la concurrence sur le marché. Une affaire qui n'aboutira qu'en 2021 après une inspection légale au sein de l'entreprise historique CD entre les 26 au 29 avril 2016.
En avril 2017, était lancée à Bruxelles par l'European Rail Freight Association l'alliance ALLRAIL, pour représenter les opérateurs voyageurs en "open access", tels LEO Express et Regiojet en République tchèque, le suédois MTR Nordic, l'italien NTV, l'autrichien Westbahn et le détaillant de billets indépendant Trainline. Cette association ne ménagera pas sa peine pour faire entendre sa voix sur tous les canaux médiatiques ferroviaires possibles et fustiger les barrières à l'entrée. La Slovaquie a fait les frais des déclarations de cette associaition...
Pour se conformer aux réglements de l'Union, le gouvernement tchèque approuvait le 1er avril 2017 une loi pour la création d'un régulateur indépendant entièrement retiré du ministère des Transports. Tout cela n'empêchait pas RegioJet de monter en puissance et de revendiquer sur l'année 2017 près de 4 millions de voyageurs.
2018 : Prague-Vienne
Les Ceske Drahy avaient des raisons de craindre RegioJet et ses projets d'expansions. L'opérateur privé annonçaient à l'été 2017 sont souhait d'opérer de Prague à Vienne, en Autriche, alors que les CD y exploitaient déjà 7 allers-retours sous forme de "CD Railjet", au confort identique à ses homologues autrichiens. Pour pénétrer en Autriche, Regiojet s’alliait avec la Bahn Graz-Köflach (BGK), une société autrichienne disposant de conducteurs et qui fournissait la prestation technique sur le sol autrichien (demande de sillons, conduite des trains, entretien…).
À la mi-décembre 2017, les premiers trains jaunes RegioJet débarquaient dans la flamboyante Hauptbahnhof de Vienne, avec en tête des locomotives Vectron louées chez le suisse EIL. RegioJet proposait le trajet Prague-Vienne pour 19€ en prx d'entrée, alors que les CD ou les ÖBB demandaient 39€. Ces derniers durent rapidement redescendre leurs tarifs.
La 193.221 vient d'arriver à Vienne-Hauptbahnhof en tête du premier RegioJet de la journée (17 avril 2018, photo Mediarail.be)
La liaison Prague-Vienne passait ainsi de 7 à 11 allers-retours. En deux mois de lancement, près de 120.000 passagers avaient déjà choisi les trains jaunes du privé tchèque, auprès d’une clientèle jeune et souvent universitaire.
Le cap des 10 million de voyageurs
Les trains de nuit remportant un vif succès, RegioJet décidait en 2018 d’augmenter ses capacités sur son train Prague-Kosice, en Slovaquie. L'opérateur lança dès juin un plan d’acquisition de matériel roulant en rachetant 18 voitures-couchettes à la DB, qui avait abandonné les trains de nuit en décembre 2016. RegioJet les engagea sur l’AR de nuit Prague – Kosice, offrant ainsi une capacité de près de 1 000 places.
Au terme de l'année 2018, les trains jaunes (y compris les trains régionaux exploités dans la Slovaquie voisine), avaient transporté plus de 10,5 millions de passagers pour l’ensemble des prestations, ce qui représente une augmentation d’environ 8% par rapport à l’année précédente. Les trains longue distance RegioJet, qui opèrent sur les lignes Prague – Ostrava, Prague – Košice – Humenné et Prague – Brno – Bratislava ainsi que sur Vienne, ont transporté à eux seuls 6,5 millions de passagers en 2019, soit environ 10% de plus que 2018 (5,9 millions passagers).
La demande était là et plutôt soutenue. Sur Prague-Vienne, la croissance était importante et confirmait la bonne stratégie de l'opérateur : « les liaisons internationales ont été le principal moteur de la croissance du nombre de nouveaux passagers avec par exemple, pendant les mois d’été, une occupation moyenne des liaisons Prague – Brno – Vienne de 93%, ce qui signifie pratiquement que la quasi-totalité des capacités était épuisée », indiquait la société. Dès le 15 décembre 2019, ces trains Prague-Vienne étaient exploités entre Breclav et Vienne Hbf par des conducteurs de l’opérateur privé autrichien Westbahn (détenu à 17,4 % par la SNCF). RegioJet coopérait déjà avec Westbahn en particulier dans le domaine de la vente des titres de transport. Mais le soucis pour Westbahn, qui n'était pas très en forme finacièrement en 2019, était de conserver son pool de conducteurs en le faisant travailler pour des tiers.
Fort de son succès, RegioJet voulait rapidement ouvrir de nouvelles liaisons mais avait besoin de financements. En juin 2019, l'opérateur émettait avec succès des obligations pour près de 36 millions €, devant principalement servir à financer le développement futur de sa flotte de trains. L’entreprise annonçait en août 2019 son intention des trains entre Vienne et Budapest, en utilisant les rames Prague-Vienne dans le roulement. Depuis décembre 2019, la société exploitait également des trains régionaux sous délégation de service public sur la ligne R8 Brno – Ostrava – Bohumin et des liaisons régionales dans la région d’Ústí, avec 17 allers-retours au contrat. RegioJet a un accord dit "brut" avec la région d'Ústí nad Labem, où le risque de vente est supporté par le client - en l'occurrence la région d'Ústí nad Labem.
Les moyens de traction devaient dès lors suivre. Le 3 septembre 2019, RegioJet commandait 15 locomotives électriques multisystèmes Bombardier Transportation Traxx MS3, avec une option pour davantage de machines, à une époque où Bombardier n'était pas encore dans l'escarcelle d'Alstom. Cette commande faisait suite à celle de 2017 pour 8 locomotives Traxx MS2e, entrées en service en 2018.
2020, pandémie et Croatie
L'année 2020 avait plutôt bien commencé. Miroslav Kupec, un ancien du conseil de surveillance des chemins de fer nationaux ČD, parti sur fond de tensions politiques et de « rénovation » de la direction des Ceske Drahy, était devenu le 14 janvier directeur technique des activités ferroviaires de RegioJet, bien loin des plaintes de 2016 pour "tarifs prédateurs." C'est dans le registre de la maintenance que les choses devaient évoluer.
Jusqu'ici, RegioJet avait maintenu sa flotte à Praha-Smíchov depuis son lancement en 2011, mais la ville décida que le site bénéficierait d'un réaménagement commercial. La maintenance des locomotives était externalisée depuis toujours, « RegioJet prévoit de construire son propre nouveau dépôt et d’élargir encore sa base technique et de maintenance », a déclaré la société.
Le 13 mars 2020, la société se fendait d'un communiqué relatant l'arrêt de ses opérations à l'étranger « sur la base de l'ordonnance du gouvernement de la République tchèque et des mesures du gouvernement de la République slovaque. » Une longue période d'incertitude commençait, mais la société maintenait par exemple 6 trains au lieu de 10 sur Prague-Brno. Dans le même temps, RegioJet ajustait sa gamme de liaisons en bus, qui devaient continuer à fournir des liaisons de base vers les différentes villes. Sur la ligne R8 Brno - Přerov - Ostrava - Bohumín, que RegioJet exploitait dans le cadre d'une concession de service public, l'importance d'avoir un contrat "brut" faisait l'objet d'une démonstration grandeur nature : le risque commercial étant à charge non pas de RegioJet mais du commanditaire (l'État), le gouvernement s'empressa de faire descendre l'exploitation à 8 allers-retours au lieu des 17 prévus dans le contrat.
Dans un communiqué du mois de mai, Regiojet avançait aussi la société avait bénéficié d'aides d'État pour le paiement d'une partie des salaires, le report d'acomptes ainsi que d'autres mesures financières, ce qui avait considérablement contribué à combler le manque à gagner de l'entreprise.
Mais on pense tout de même aux vacances...
C'est probablement l'épisode qui aura fait le plus connaître RegioJet en Europe. À la mi-juin, l'opérateur lançait la vente de billets de train pour Ljubljana et Rijeka, avec un train de nuit estival à l'origine prévu trois fois semaine. Mais l'affluence fut telle - aidée par la levée des restrictions sanitaires en Croatie -, que le train fut programmé quotidien dès la mi-juillet 2020. Il faut souligner aussi que ce lancement intervenait en pleine période de retour en grâce du train de nuit, une popularité que personne n'imaginait quelques années auparavant...
Pour l'exploitation, 12 voitures et une capacité totale de 600 passagers en places assises ou couchettes, avec des tarifs simples à partir de 22 €, wifi et petit-déjeuner inclus. Cette liaison devait beaucoup a une collaboration entre Regiojet et l’Office du Tourisme croate, ainsi qu’à l’ambassade de Croatie à Prague. Le premier train fut lancé le 30 juin au départ de Prague. Près de 60.000 personnes profitèrent de cette nouvelle liaison ferroviaire, qui était complétée par des bus pour les derniers kilomètres.
L'un des trains de nuit Prague-Rijeka vu ici au petit matin en territoire slovène, d'où la traction par une 342 de l'opérateur public SŽ . A la frontière croate, une machine identique classée 1141 prendra le relais pour le compte des HŽPP (photo Anze Furlan via dreamstime)
La Vectron en tête du RJ1044 depuis Prague, louée par RegioJet, fait le trajet jusqu’à la frontière slovène, à Hodos, en traversant trois pays, ce qui démontre toute l’importance du matériel roulant interopérable. RegioJet utilise en Hongrie le personnel de l’opérateur Continental Railway Solution, le même qui conduit les trains RegioJet Prague – Budapest en territoire hongrois. Ce n’est qu’à partir de la Slovénie que les entreprises d’État sont utilisées : une locomotive électrique des chemins de fer slovènes SZ prend en charge le train jusqu’à Šapjane, à la frontière croate, où une locomotive HŽPP 1141 prend le relais. Les Vectron, bien qu’homologuées, ne sont pas autorisées sur les voies vers Rijeka, limitées à 20 tonnes à l’essieu. C’est la première fois d’ailleurs que RegioJet collabore avec des transporteurs publics pour l’exploitation de ses services en Croatie et en Slovénie.
La composition du train RJ 1047 est disponible à ce lien. Elle montre que sur un train de 12 voitures :
• 7 voitures étaient du type Bcmz 248.5 et offraient un total limité à 280 couchettes, 4 par compartiment étant donné les restrictions sanitaires;
• 5 voitures de natures variées Bmz, Bmpz ou ABmz offrant 328 places assises.
Soit un total de 608 places. On peut s'étonner que les Bmpz de 80 places ne soient pas limitées à un siège sur deux du fait des restrictions sanitaires de 2020.
Pendant ce temps, l'opérateur lançait ses trains dès le 31 juillet vers Budapest, par prolongation de 2 des 4 allers-retours Prague-Vienne, pour lesquels il est fait appel à la fois aux conducteurs de Westbahn pour le parcours autrichien et à ceux de Continental Railway Solution pour la partie hongroise. Hélas le 1er septembre, ce trafic devait être suspendu sur ordre des autorités hongroises qui instauraient de nouvelles restrictions. Cela dit, tout mis l'un dans l'autre, RegioJet a finalement pu touché, en cet été 2020 si particulier, cinq pays en dehors de la Tchéquie, confirmant sa présence à l'international, singulièrement en Europe centrale.
Le 30 octobre 2020, les griefs de RegioJet pour des soupçons de prix d'éviction de la part des Ceske drahy ČD étaient officiellement reconnus par la Commission européenne, soit quatre ans après le dépôt de plainte. Dans une communication des griefs, la Commission européenne informait l'opérateur ferroviaire tchèque ČD de son point de vue préliminaire selon lequel ČD avait bien enfreint les règles antitrust de l'UE en pratiquant des prix d'éviction sur la liaison Prague-Ostrava. Le journal tchèque Seznamzpravy.cz montrait de son côté une autre facette de la politique d'éviction en dévoilant des documents que la Commission européenne a confisqué au siège des chemins de fer lors de son enquête à l'été 2016. Parmi les documents figurerait un mail envoyé par un haut cadre des ČD à son homologue de ÖBB-Personenverkehr, où il est explicitement demandé - en anglais -, « Je vous serais très reconnaissant si vous éliminiez au moins RegioJet », de la vente de voitures-couchettes que l'opérateur autrichien effectuait dans les années 2015-2016. Ce type d'entente pourrait coûter très cher aux deux opérateurs publics avec plusieurs centaines de millions d'euros d'amendes à la clé.
2021, année du rail pour de meilleurs auspices ?
L'année 2020 se terminait en Europe par un engouement soudain pour le train de nuit, quatre opérateurs publics - dont les ÖBB -, s'unissant pour relancer un produit pourtant rejeté quelques années auparavant. Le directeur des communications et des ventes de RegioJet Aleš Ondrůj se fendait d'un petit coup de gueule en rappelant que la vision d'une expansion des services de trains de nuit devrait être élargie en incluant d'autres opérateurs.
Cette missive intervenait alors que l'Europe instituait 2021 en tant "qu'Année du Rail", malgré un contexte très défavorable dû à la seconde vague de la pandémie, qui a sclérosé tout l'hiver 2020/2021. Cette année 2021 a pourtant été riche pour l'opérateur privé tchèque. Outre l'obtention de toutes les autorisations nécessaires pour lancer son projet de service de nuit entre Praha, Cracovie et Przemysl, RegioJet prévoyait d'entrée de jeu de reprendre son service de nuit réussi de Prague vers la Croatie pour la saison estivale 2021. Ce train fut présenté en février 2021 avec des modifications majeures par rapport à 2020 :
• il devenait bitranche : l'une pour Rijeka, l'autre pour Split et le trajet passait par Zagreb, avec scission à Ogulin au milieu du pays, une gare dont personne ne connaissait l'existence... ;
• il passait désormais par Budapest-Kelenfold et s'attaquait ainsi, malgré des horaires très tardifs, au marché hongrois, friand lui aussi des côtes croates.
Ce train était prévu pour la fin mai, trois fois semaine en juin puis quotidien en juillet et août.
En avril, une startup hollandaise du nom d'European Sleeper annonçait vouloir créer un train de nuit Bruxelles-Amsterdam-Berlin-Prague, avec comme partenaire technique... RegioJet, qui le confirmait par communiqué de presse. La sphère ferroviaire d'internet repérait même une demande de sillon en Belgique jusqu'à Ostende ! En ce même mois d'avril, RegioJet signait une nouvelle DSP pour la ligne électrifiée R23 de 135 km entre Kolín et Ústí nad Labem-západ. Le contrat annoncé le 30 mars s'étendait sur huit ans à compter de décembre 2021.
Et pendant ce temps, RegioJet comptabilisait 15.000 billets vendus pour le train de nuit Prague-Rijeka/Split. Ce train fut mis en service le 28 mai, avec environ 400 voyageurs à bord. Sur place, des services de bus au départ de Rijeka, Split, Gračac et Ogulin desservaient toutes les destinations de vacances sur la côte adriatique croate - de l'Istrie à Dubrovnik. RegioJet n'oubliait pas pour autant la remise en service de ses autres services. Le 13 juin, la liaison de Prague à Budapest via Vienne reprenait du service avec deux allers-retours par jour.
En août, l’Office des transports ferroviaires polonais UTK - le régulateur polonais -, recevait une demande de RegioJet pour opérer une liaison commerciale voyageurs entre Cracovie, Varsovie et Gdansk, une ligne dominée par l’entreprise historique polonaise PKP. La demande était soumise pour une période maximale possible de cinq ans. « RegioJet a déclaré sa volonté de fournir un nouveau service de transport de passagers du 11 décembre 2022 au 11 décembre 2027, » détaillait l’UTK.
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