Le mot 'révolution' fait toujours peur, et c'est peu dire. Au XIXe siècle, la presse à vapeur et le télégraphe, le charbon en abondance et les locomotives ont déclenché la première révolution industrielle. Au XXe siècle, l'électricité, le téléphone, la radio et la télévision, le pétrole bon marché et les véhicules à combustion interne ont, tous ensemble, ouvert la voie à une deuxième révolution industrielle. La prochaine Révolution industrielle devrait être celle de la «jonction de la communication par Internet et des énergies renouvelables», explique le prospectiviste Jeremy Rifkin, qui a sorti en 2014 un bouquin sur le sujet. Mais quelle influence cela aurait-il sur les chemins de fer ?
C'est que les transformations sociétales auront forcément un impact sur nos chemins de fer. Non seulement au niveau des habitudes de consommation (digitales), mais aussi parce qu'on choisira tel service plutôt qu'un autre en fonction de sa facilité d'accès et de paiement (digital) ainsi et surtout que de son prix (sociétal). Or le chemin de fer étant une industrie de la première révolution industrielle, l'impact du futur sera majeur pour la survie du rail. Une survie qui passe par l'atout maître du chemin de fer : celui d'utiliser l'électricité, qui peut facilement être produite de manière renouvelable.
Tout mis l'un dans l'autre, la troisième révolution industrielle pour les chemins de fer peut être analysée au travers de cinq thèmes distincts :
Les transformations sociétales
Evolution digitale, énergie renouvelable et nouvelles mobilités sont en train de changer le paradigme social. Cela impose de nouveaux modes de vie et de travail, auxquels de nombreuses personnes pourraient avoir du mal à s'adapter. La période des 20 à 30 prochaines années annonce davantage d’incertitudes. Ce qui est bon en marketing aujourd'hui sera obsolète demain. On le voit avec le TGV ou les trains de nuit. On voyage de plus en plus à toutes périodes de l'année et le plus souvent sur un coup de tête. La vie sociale est nettement plus décousue aujourd'hui que jadis. L'encadrement au travers des structures sociales codifiées n'a plus le même attrait que jadis. S’il y a une aspiration a « davantage faire société » (être en réseau), il y a avant tout une aspiration forte à « rester soi-même », à se différencier de l'autre, ce qui implique un marketing personnalisé, tournant le dos à ce qui se pratiquait jusqu'à aujourd'hui.
De quelle mobilité avons-nous besoin ?
Il y a de plus en plus de monde pour estimer que les infrastructures actuelles ne permettront plus de répondre aux besoins futurs. Ce constat suscite un large éventail de questions, parmi lesquelles : est-il encore raisonnable de prétendre à une mobilité illimitée, partout et en tout temps ? Quel est le degré de mobilité compatible avec l’aménagement du territoire ? Quelles sont les possibilités de financement de l’infrastructure nécessaire ? Ces questions montrent que les options prises par le passé ne pourront pas être transposées telles quelles dans le futur. Pour assurer à l'avenir la fonctionnalité du transport des personnes et des biens, de nouvelles approches intelligentes doivent être développées et mises en oeuvre. Outre des outils de massification, comme le covoiturage, on songe aussi à l’aménagement du territoire qui devrait être conçu de manière à réduire les besoins en matière de transport. La planification des zones résidentielles, commerciales et tertiaires devrait prendre en compte les incidences de chaque type d’affectation sur la mobilité. La tarification des transports n'est pas adaptée aux importantes variations de la demande selon l’heure et le lieu. Il deviendrait nécessaire de passer à une tarification de la mobilité («mobility pricing») tenant compte de la diversité des exigences.
Les énergies renouvelables
Tout part d'un constat : les lois de l’énergie gouvernent l’activité économique et la crise actuelle marque l’essoufflement des trajectoires énergétiques du passé. L’énergie fossile et les terres rares qui ont fait le succès économique de notre civilisation s’épuisent. La dette entropique, issue de l’activité économique passée, s’accumule beaucoup plus rapidement que la biosphère n’est capable de l’absorber. Le monde politique et la population semblent conscient qu'il faut changer de paradigme. Les énergies renouvelables répondent en partie à cette question. Elles sont devenues une réalité dans les années 1990 quand le photovoltaïque s'est répandu dans le grand public, en parallèle avec l'éclosion de parc d'éoliennes qui ont depuis semés un peu partout en Europe. Le chemin de fer fut - et reste - le seul transport utilisant de l'énergie verte, c'est à dire de l'électricité produite sur une base autre que fossile ou nucléaire, c'est à dire sur base du vent (éolien) ou du solaire (photovoltaïque), voire même quand c'est possible, de l'hydraulique (les barrages). Certains réseaux de chemins de fer, fort de leur électrification, se fournissent désormais au maximum en énergie renouvelable. Coup double donc puisque la pollution du train devient alors extrêmement réduite par rapport aux transports concurrents à énergie fossile.
Le traitement des données est probablement le versant le plus révolutionnaire de cette époque de transition. Armé de son smartphone, le citoyen dispose d’un accès permanent à des milliards de données. L’heure n’est plus à la passivité et à la servitude, mais à l’usage. Un aspect qui peut, sous certaines formes, remettre en cause la propriété d’un bien pour un usage temporaire. C’est dans ce contexte que sont apparus de nouveaux modèles économiques basés sur le concept de plateforme. Avec ce concept, la consommation devient un modèle économique basé sur l’échange, le partage, la location de biens et services privilégiant l’usage sur la propriété. Ce modèle a donné lieu de sérieux bouleversements dans le domaine des transports, avec l’apparition de modèles d’affaire mais aussi un accès illimité à une foule de données et de proposition. Le chemin de fer ne peut plus se cacher derrière son ancien monopole : il doit s'insérer dans les nouvelles moeurs de la société.
Le digital aura - et a déjà - un impact sur le travail des cheminots, notamment avec l'extension de la surveillance et de la maintenance prédictive, où les véhicules ferroviaires fournissent par avance l'état d'usure de leurs composants, ce qui change tout dans les ateliers. Le régulation du trafic et de nouvelles méthodes de signalisation annoncent une autre manière d'exploiter les trains.
Les innovations ferroviaires
Le smartphone interconnecté, avec ses informations en temps réels et ses capacités de détecter les meilleures offres en un seul clic sont une menace pour qui rate le train digital en marche... Les gens n'acceptent plus de nos jours les entraves que connaissaient nos parents. Les offres de mobilité se déclinent aujourd'hui dans des secteurs tels le covoiturage ou le transport individuel façon Uber. A côté de cela, le train grande ligne doit faire face aussi à l'aviation low-cost et aux autocars libéralisés. Cette mobilité accessible en permanence fait pression sur les prix mais aussi sur la qualité du service, car tout le monde n'entend pas voyager low-cost.
L'intégration de plusieurs modes de transport en un seul tarif devient la règle incontournable. Ainsi le train tente d'annihiler son handicap du porte à porte en proposant la location d'auto, de vélo ou la réservation d'un autre moyen de transport.