Les trois époques du monde ferroviaire
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L'auteur
Frédéric de Kemmeter 
Train & signalisation - Obser-vateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités complexes de manière transversale

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Le chemin de fer a une histoire de 200 ans qui s’est caractérisée par une évolution en trois époques principales :
Chaque de ces grandes étapes comporte bien évidemment des étapes internes et des particularités propres à chaque pays. On se rapportera utilement à l’histoire de chacun des réseaux pour en connaître les détails.
Contractualisation, libéralisation et internationalisation
À retenir :  
• Une reprise en main par l’État, mais sous contrats dans les limites des finances publiques disponibles de chaque pays ; 
• Une transformation de l’esprit cheminot et une contractualisation importante de tous les services ferroviaires; 
• L’implication grandissante de la législation européenne et d’une tentative d’uniformisation ; 
• Une infrastructure ouverte à tous les opérateurs ; 
• La mise en place des appels d’offre pour le service publique, de l’accès libre pour les autres opérateurs ; 
• L’internationalisation de l’industrie et des fournisseurs ; 
• L'apparition de nombreux acteurs, dont certains disruptifs. 
 
Les années 1990 voient l’introduction du new public management dans les administrations et les entreprises publiques, impliquant la diffusion de la discipline économique dans le corps social et les sphères de l’État. Une transformation, lente mais profonde, de la politique économique des transports devient alors possible grâce à l’évolution des mentalités du personnel politique et administratif.  
 
En Allemagne, dès janvier 1994, la Deutsche Bahn AG nouvellement créée avait pour mission « d’être en mesure d'agir d'une manière orientée vers le client et le marché et de générer des bénéfices. » Il n’y avait pas meilleure illustration des changements de paradigmes qui s’opéraient. Les finances publiques devenaient le fil rouge conducteur de toutes les politiques ferroviaires.  
 
Pour cadrer les finances publiques, on assista à une contractualisation croissante des relations entre les États et leur chemin de fer. Cela fut interprété comme une reprise en main des chemins de fer par l’État, mais sous forme « d’entreprise » et non plus d’administration. Cela provoqua des ruptures fondamentales au sein de ces entreprises à la culture parfois centenaire.  
 
Une rupture aussi fut créé sur la manière de subsidier : les secteurs jugés « auto finançables » - en gros le fret et les grandes lignes -, perdirent une bonne partie de leurs subsides directs, tandis que le trafic régional et l’infrastructure bénéficiaient à contrario d’un support soutenu – quoique souvent insuffisant -, de diverses autorités publiques, nationales ou régionales.
Vers une transformation de l’esprit cheminot 
Entamée dès les années 1970, on rechercha de la productivité du personnel par le biais d’un renouveau profond des techniques ferroviaires, planifié au niveau central. Pour les dirigeants du rail des années 1980, la « modernisation » devait permettre de faire émerger un « nouvel état d’esprit » en ligne avec le new management et la prégnance des objectifs financiers évoqués plus haut. Cette transformation du personnel dirigeant des chemins de fer en Europe s’inscrivait plus largement dans le processus de renouvellement de la direction des entreprises publiques en faveur des ingénieurs-économistes.  
 
Certains observateurs en France notèrent le déclassement social de la corporation cheminote, concomitant de la nouvelle révolution commerciale et managériale de 1971, qui abandonnait les missions de service public au nom de la rentabilité et érodait le statut à la SNCF. Les recrutements de profils tournés vers les valeurs de la société de consommation renouvelaient en profondeur la corporation et ont pu alimenter une contestation sur son fonctionnement.  

En interne, avec des intensités variables d’un pays à l’autre, les chemins de fer publics se réorganisèrent non seulement en secteurs d’activités – appelés business unit chez certains -, mais le management lui-même était revu, provoquant une refonte de l’organigramme de chaque opérateur public. Une manifestation concrète se traduisit, surtout à l’aube des années 2000, par l’entrée aux chemins de fer de dirigeants extérieurs d’une part, et par le renouvellement dans l’administration des cadres directement par de jeunes diplômés, cassant la fameuse culture cheminote de l’ascension sociale, qui voulait que l’encadrement soit exclusivement issu des promotions internes. 
 
>>> Voir nos dossiers consacrés au personnel et à l'environnement social 

Contractualisation 
C’est clairement le mot qui caractérise les années 2000 et notre époque actuelle. On croit souvent que la contractualisation fut imposée par des directives européennes. Il n’en fut rien. On pouvait en effet déjà trouver des formes de contractualisation dans les années 1970-1980.  
 
Dès 1971, par exemple, une nouvelle convention était passée entre l’État français et la SNCF, donnant à l’entreprise publique une autonomie de gestion avec pour objectif d’atteindre l’équilibre financier. En 1982, la LOTI instaurée en France sous le premier septennat de François Mitterrand transforma la SNCF en EPIC et donna suite à la convention de 1937 qui arrivait à terme, prévoyant que les missions de la SNCF devraient être précisées par un Contrat de plan.
La Belgique a aussi innové en cette matière dès 1991, dix ans avant que les directives ne deviennent prégnantes dans la législation belge, en transformant la SNCB en SA de droit public et en instaurant un contrat de gestion qui définissait le volume des subsides et les services à rendre aux citoyens.  
 
Des formules similaires sont observées dans de nombreux pays d’Europe. Un pays, la Suède, avait même largement anticipé la politique européenne, en isolant juridiquement l’infrastructure dès 1988, créant une entité indépendante du nom de Banverket, l’opérateur national Statens Järnvägar (SJ) devenant un « simple opérateur client » du gestionnaire d’infrastructure, ce qui fut vécu comme un séisme dans le monde cheminot. Tant Banverket que SJ durent passer un contrat avec l’État suédois, clarifiant missions et montants des subsides. 
 
À partir de 2023, l'ensemble du secteur ferroviaire subventionné doit passer par un appel d'offre obligatoire. Avant cette date , certains pays ont passé des contrats directement avec leur entreprise historique afin d'éviter l'obligation de l'appel d'offre.

Ces exemples démontrent bien la reprise en main par l’État des conditions de financement des chemins de fer. Il ne s’agit plus d’éponger un déficit de manière systématique comme jadis, mais de prévoir ce déficit, de l’encadrer, de le circonscrire et d'inciter à des changements d'organisation du travail pour "faire moins avec mieux".  
 
De plus, une sectorisation des activités ferroviaires devînt de plus en plus importante, pour deux raisons : 
• d'une part pour assurer l'indépendance de l'infrastructure, tant au niveau de son financement que de l'accueil de tous les opérateurs sans discriminations (ce qui était impossible dans le cadre d'une entreprise unifiée) ; 
• et d'autre part, dans le but de soulager les finances publiques les services de trains « qui pouvaient se financer seuls » selon les critères du marché. 
 
Les trains grandes lignes commerciaux et le fret ferroviaire furent ainsi systématiquement sortis du service public pour ne fonctionner que sous les critères du marché, entraînant, sur le segment voyageurs, d'importantes réductions de trains internationaux et l'arrivée d'entreprises dédiées sous forme de filiales, comme Thalys, Eurostar ou Avlo, par exemple. 
 
Les trains régionaux et l'infrastructure restèrent soumis aux subsides publics du fait de leur impossibilité à couvrir leurs coûts. Cette politique de contractualisation, qui a fortement fragmenté l'univers ferroviaire, va fonder – et fonde toujours -, la gestion actuelle de nos chemins de fer. 
 
>>> Voir nos pages consacrées aux contrats, aux franchises et aux délégations de service public 
L’implication grandissante de la législation européenne et des normes  
C’est l’autre séisme. Autoriser un autre opérateur sur les voies du service public ferroviaire semblait encore une hérésie dans les années 1980. Sur ce thème, ce sont bien les directives européennes qui eurent un impact majeur. L’idée d’autoriser de nouveaux entrants était officiellement de faire naître un nouvel esprit et de s’orienter « client » pour reprendre des parts de marché à la route. 
 
En réalité, il s’agissait aussi d’une initiative largement insufflée par les milieux d’affaires, qui semblaient avoir détecter – surtout avec le fret ferroviaire -, de nouvelles opportunités marchandes et financières. Faire du fric avec le rail, certains vont vite déchanter, d’autres vont s’accrocher, certains vont réussir…
Dans l’intervalle, permettre l’arrivée de nouveaux entrants supposait l’indépendance de l’infrastructure ferroviaire. Ce ne fut pas sans mal. Pour y arriver, il fallait un support légal important qui apparut avec la directive 91/440, la toute première qui concerna la gouvernance ferroviaire. 
 
Cette directive constituait un compromis entre la volonté de faire évoluer en profondeur l'organisation du transport ferroviaire en Europe et la nécessité de mener des réformes difficiles avec prudence. En juillet 1995, la Commission européenne publiait une nouvelle directive visant à compléter le texte de 1991.
La lenteur d’implémentation nécessita alors de travailler par « paquets », quatre furent nécessaires pour englober la totalité du secteur ferroviaire. 
 
>>> Voir la chronologie législative de l’Europe ferroviaire  
 
La concurrence pour le fret ferroviaire fut obligatoire dans tous les pays dès 2006, celle pour le trafic voyageur grande ligne dès 2010. Ces deux secteurs pouvaient apparaître en effet comme étant auto-suffisants et commercialement viables, et furent donc sortis du service public. L’ouverture de 2010 sonna le début d’une vague de création d’opérateurs privés comme NTV-Italo, Westbahn ou RegioJet, qui débutèrent leurs opérations dès 2011-2012. Une vague, mais pas de quoi ébranler durablement les entreprises historiques qui, réunies sous la CER, ont pu mettre en place un lobbying pour faire entendre leur cause.  
 
Au fil des décennies, les chemins de fer ont dû s'adapter à des normes techniques « extérieures » produites par un certain nombre d'organisme. Songeons aux appareillages électriques, aux câbles, aux normes des conteneurs, aux normes des télécoms (la composante GSM-R de l’ERTMS...). Cet environnement normatif important est principalement géré par :  
 
• des organismes de niveau mondial (ISO, IEC), européen (CEN, CENELEC...) ou national (Afnor, DIN...);  
 
• des associations d'autorégulation spécifiques qui élaborent leurs propres normes à caractère technique tenant compte de ce qui précède (comme l'UIC...).  
 
Les normes de sécurité ont impacté l’entièreté du secteur ferroviaire, demandant d’atteindre un niveau de SIL 4 dans certaines circonstances et modifiant la conception même des éléments du matériel roulant. 
 
>>> Voir les organismes qui régulent les normes  
 
>>> Voir l’UIC  
 
>>> Voir les différents niveaux de sécurité  
 
>>> Voir les Spécifications Techniques d’Interopérabilité 
 
L'internationalisation du secteur ferroviaire 
Il y eut d'abord le phénomène important de concentration de l'industrie ferroviaire. On peut même dire que cette industrie était largement demandeuse de la libéralisation du rail européen, car elle souffrait dans la deuxième époque des stop & go incessants des commandes publiques nationales. Élargir l'aire de chalandise au niveau européen permettait dès lors de contourner les stop & go et de vendre des trains normalisés et vendables partout.
Habitués depuis toujours à concevoir eux-mêmes leur matériel roulant, les opérateurs étatiques utilisaient l’industrie nationale comme simple sous-traitante. Mais un retournement complet fut opéré dès les années 2000. De regroupements en rachats, une poignée de gros industriels apparurent et imposèrent leur matériel roulant, désormais conçus par leurs propres bureaux d’études. 
 
Ces industries travaillent désormais par plateforme-produit : une usine pour les trams, une autre pour les locomotives, une troisième pour les automotrices, et ainsi de suite. Cela a conduit à voir dorénavant des produits standards circuler dans toute l’Europe et vendables partout.

>>> Voir nos dossiers sur l'industrie 
 
L’autre tentative d’internationalisation fut la très laborieuse mise sur pied d’une signalisation et d’un système de détection des trains standardisés. Connus sous le nom d’ERTMS, ce système s’est avéré coûteux pour de nombreux opérateurs qui, auparavant, roulaient – et roulent toujours -, avec les systèmes de signalisation nationaux, dits « de classe B ».  
 
>>> Voir l’implantation de l’ERTMS  
 
Une percée significative fût la consécration, en juin 2021, de l’Agence Ferroviaire Européenne comme organisme unique pour délivrer les homologations de matériel roulant, un des points noirs du secteur ferroviaire.  
 
>>> Voir notre page consacréer à l'ERA 
 
Une infrastructure ouverte à tous les opérateurs  
C'est probablement le résultat le plus marquant de cette troisième époque du chemin de fer : une seule infrastructure nationale mais DES opérateurs autorisés à l'utiliser, moyennant un péage. Cette pluralité consacrait la fin du monopole et obligeait le secteur ferroviaire à s'ouvrir à l'extérieur. Cette pluralité a eu des répercussions importantes sur le corps cheminots, dès l'instant où d'autres manières de faire du train permettaient d'avoir de bons résultats, mettant à mal près de 80 années d'usages, de coutumes et de culture cheminote. 
 
Cette pluralité n'a pu être possible que grâce à tout ce qui précède, notamment l'internationalisation de l'industrie et les paquets législatifs contraignant les opérateurs étatiques à abandonner le monopole.  
 
Sur base des directives européennes, tous les pays concoctèrent un statut particulier à son infrastructure ferroviaire. Mais les résultats apparurent quelque peu diversifiés puisque pas moins de cinq formules organisationnelles et juridiques coexistent en Europe. 
 
>>> Voir la nouvelle gouvernance de l'infrastructure 
 
On rappellera avec force que la voie particulière prise par la Grande-Bretagne pour sa politique ferroviaire ne fut jamais celle demandée par l’Europe, mais bien une initiative politique du parti conservateur de John Major, et non de Margaret Thatcher. Malheureusement on utilise encore abondamment – y compris en milieu académique -, le cas anglais comme repoussoir commode, probablement par manque d'arguments prégnants ailleurs. La politique britannique n’a trouvé aucun écho en dehors de la Grande-Bretagne, pas même en Irlande. Elle a d'ailleurs pris un nouveau tournant après la pandémie avec la fin du système des franchises mais le maintien des opérateurs privés sous contrat.
L'irruption de l’internet et du monde digital chez nos contemporains ont complètement changé la donne, à tous niveaux. Aujourd’hui, le citoyen est 20 ou 50 fois plus informé qu’hier et la liberté de choix est à portée d’un simple clic. On ne s’engage plus à vie comme hier et les idées politiques des jeunes diffèrent de celles de leurs aînés. La digitalisation du monde est un fait social à part entière et le chemin de fer, s’il veut maintenir sa frêle place dans le secteur des transports, ne peut y échapper. Tout le monde peut comparer prix et services rendus en seulement quelques secondes. De nos jours on ne voyage plus, on se déplace. On ne transporte plus des gros volumes mais des petites caisses ou paquets à l’unité.
En définitive, pour conclure cette page, de 1991 à 2018, on peut dire que 27 années furent nécessaires pour uniquement faire bouger les lignes et obtenir une certaine ouverture. Ce temps long est à mettre en perspective avec les secteurs concurrents de l’aviation et de l’automobile qui ne nécessitent pas, de leur côté, un tel travail législatif et qui ont pu avancer pour maintenir durablement leurs parts de marché. 
 
La pandémie et l'environnement économique lié aux évènements de 2015, 2016 ou 2022 sont aussi vecteurs qui bousculent le secteur ferroviaire. L'histoire n'est en tout cas pas finie. En 2025, on fête les 200 ans du Stockton & Darlington...
Dernière mise à jour : 03/02/2022
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